Le soir même du jour que le roi avoit appris à son réveil la cruelle nouvelle de la bataille de Ramillies, M. le comte de Toulouse arriva à Versailles, et fut trouver le roi chez Mme de Maintenon, où il demeura fort longtemps avec lui, ayant laissé le maréchal de Cœuvres pour quelques jours encore à Toulon. Il s’étoit tenu mouillé devant Barcelone jusqu’au 8 mai. Les frégates d’avis qu’il avoit envoyées aux nouvelles de la flotte ennemie lui rapportèrent qu’elle approchoit, forte au moins de quarante-cinq vaisseaux de guerre. Notre amiral, grâce aux bons soins de Pontchartrain, n’en avoit pas une bastante pour les attendre. Lui et le maréchal de Coeuvres eurent, avant partir, une longue conférence avec le maréchal de Tessé et Puységur, et tout au soir levèrent les ancres. Ils rentrèrent le 11 mai à Toulon.
Le départ de notre flotte et l’arrivée de celle des ennemis à Barcelone y changea fort la face de toutes les choses. Les assiégés reprirent une vigueur nouvelle, les assiégeants rencontrèrent toutes sortes de nouveaux obstacles. Tessé, voyant l’impossibilité de continuer le siège et toute la difficulté de la retraite en le levant, persuada au roi d’Espagne de faire entrer le duc de Noailles dans toutes les délibérations qu’il avoit à prendre là-dessus. Noailles étoit tout nouveau maréchal de camp. Il n’avoit jamais fait quatre campagnes ; sa longue maladie l’avoit retenu les étés à la cour, et la petite vérole dont il avoit été attaqué en arrivant devant Barcelone, et de laquelle il ne faisoit que sortir, l’avoit empêché de servir de maréchal de camp à ce siège, et assez longtemps même de savoir ce qu’il s’y passoit, mais il étoit neveu de Mme de Maintenon, et comme tel bon garant pour Tessé. Tous les embarras où l’on étoit furent donc discutés en sa présence. Il se trouva que les ingénieurs étoient si lents et si ignorants, qu’il n’y avoit aucun fond à faire sur eux, et que par la vénalité que le roi avoit mise dans l’artillerie depuis quelque temps, comme je l’ai dit en son lieu, non seulement ces officiers vénaux n’y entendoient rien du tout, mais avoient perdu sans cesse en ce siège, et perdoient encore tout leur temps à remuer inutilement leur artillerie, et à placer mal leurs batteries, pour se mettre dans la nécessité de les changer, parce que de ces mouvements de canon résultoit un droit pécuniaire qu’ils étoient bien aises de multiplier. L’armée assiégée par dehors, et depuis longtemps uniquement nourrie par la mer, n’avoit plus cette ressource depuis la retraite de notre flotte et l’arrivée de celle des Anglois, et nulle autre d’ailleurs pour la subsistance journalière. Toutes ces raisons persuadèrent enfin le roi d’Espagne de la nécessité de lever le siège, quelque résistance qu’il y eût apportée jusqu’alors.