Mes: febrero 1793

  • Herido el científico Méchain inspeccionando una máquina de su colega Salvá, que hace de caballo

    Un médecin célèbre, dont il avoit fait la connoissance à Barcelone, le pressoit depuis quelque temps de venir voir une machine hydraulique nouvellement établie dans une campagne voisine [San Andrés de Palomar]. Méchain avoit toujors différé, tant qu’avoient duré les observations astronomiques; mais au moment de retourner en France il ne put refuser cette satisfaction aux instances de son ami. Leur arrivée n’ayant point été prévue, ils ne trouvèrent pas les chevaux qui faisoient ordinairement le service de la machine. Le docteur, aidé de son domestique, se crut assez fort pour la faire jouer. Méchain, placé dans un endroit un peu élevé auprès du réservoir, admiroit la quantité d’eau qu’il voyoit affluer: tout à coup il entend des cris perçans, et en se retournant il aperçoit le docteur et son domestique entrainés par la machine que leurs premiers efforts ont pu mettre en mouvement, mais qui les maîtrise à son tour; il se précipite pour les secourir, et à l’instant la barre qui les a renversés leur échappe des mains, vient le frapper lui-même, et le lance contre un mur au pied duquel il tombe sans connoissance et baigné dans son sang. Le docteur tout froissé se relève et court à son ami qu’il croit mort, et qui reste plusieurs heures sans donner le moindre signe de vie. Enfin, à force de soins, on parvient à lui ranimer le pouls. On le transporte à la ville [Barcelona], où il arrive au milieu de la nuit; mais comme on n’a nul espoir de le rappeler à la vie, on remet au matin la visite de ses blessures. Le jour venu, en lui trouve le côté droit cruellement froissé, plusieurs côtes enfoncées, la clavicule démise et brisée. On le panse, un peu tard peut-être; rien ne lui rend la connoissance: il la recouvre enfin au bout de trois jours, et ne sent son existence que par une fièvre ardente, des douleurs de tête insupportables, et les regrets plus cuisans encore de voir passer dans l’inaction le temps le plus précieux de l’année, celui dont il se disposoit à faire un si bon usage, lui qui dans les premiers jours de son arrivée a Barcelone, ayant aperçu une comète nouvelle [C/1793 A1], s’excusoit, pour ainsi dire, d’avoir donné quelques instans à des observations pour lesquelles il n’étoit point envoyé. «Ce n’est pas ma faute,» nous disoit-il en faisant part de sa découverte à l’Academie des sciences, «je ne la cherchois pas.»

    Deus mois entiers il fut condamné à l’immobilité la plus absolue. L’impatience trop légitime que le dévoroit retarda sans doute sa guérison. Son accident étoit arrivé dans les premiers jours du printemps; aux environs du solstice [1793 Jun 21 Fri at 01:19:45] il ne pouvoit encore se servir du bras droit. Les médecins et les chirurgiens les plus habiles de Barcelone croyoient que jamais il ne pourroit en recouvrer l’usage. Six mois auparavant il avoit observé le solstice d’hiver: celui d’été devoit lui donner une connoissance plus complète de l’obliquité de l’ecliptique. Il voulut au moins ensayer ce qu’il pourroit faire avec un seul bras. Il se faisoit placer auprès du cercle: son adjoint préparoit l’observation; Méchain ne se réservoit que le soin de donner à la lunette les mouvemens qui devoient placer le bord du soleil sur le fil. Pour apprécier les efforts que lui coûtoient ces observations dans l’état de gène et de souffrance où il se trouvoit, il faut avoir fait de pareilles observations, connoître la position de l’observateur, obligé de se courber pour apercevoir l’astre à la hauteur solsticiale, et songer qu’à la latitude de Barcelone le soleil est encore de 8 degrés plus élevé que nous l’avons à Paris. Cet essai convainquit Méchain qu’il n’étoit pas en état de reprendre la mesure de la méridienne. On lui conseilla les eaux et les douches de Caldas; cependant elles ne lui rendirent pas le libre usage du bras droit. Il apprenoit à s’en passer, et ce qu’il regretoit le plus, c’étoient six mois perdus dans l’inaction. S’il parloit de son accident, il ne le considéroit que sous ce point de vue; mais il n’aimoit pas à en parler, soit qu’il le regardât comme l’effet d’une complaisance qu’il n’auroit pas dù se permettre quand tout son temps appartenoit à la mission dont il étoit chargé, soit aussi (car ce scrupule peut paroître incroyable, quoique parfaitement dans le caractère de Méchain), soit, dis-je, qu’il voulût ménager le docteur, à qui il n’en resta pas moins sincérement attaché depuis. S’il se permet dans une de ses lettres ces mots dans lesquels on pourroit voir un reproche: «Sans lui ce malheur ne fût point arrivé», il ajoute aussitôt: «mais sans sa présence je n’existerois plus.»